Tiers-payant généralisé et privatisation de la sécu… suivi de l’article de Jean de Kervasdoué (publié dans le Monde du 16/01/2015)

Tiers-payant généralisé et privatisation de la sécu… suivi de l’article de Jean de Kervasdoué (publié dans le Monde du 16/01/2015)  

Le président de la République lors de sa dernière conférence de presse a affirmé que le tiers payant généralisé ne verrait pas le jour en l’absence de formule réellement simple pour les médecins. Remis donc aux calendes grecques pour les uns, confirmé pour les autres.

Le fait est que une grande réunion de l’ensemble des prestataires d’assurance privée s’est tenue à la fin de la semaine dernière et qu’on nous annonce que tous les assureurs privés y compris les supposés mutualistes, se seraient mis d’accord pour  que dès 2017 le système soit mis en place, avec règlement simultané par la CPAM et les assureurs, en moins de cinq jours nous dit on.

En admettant même que cela soit possible (chacun sait les difficultés techniques rencontrées  avec la carte vitale version actuelle) cela ne résoudra certainement pas l’opposition des médecins à l’introduction du tiers payant généralisé. Mais pourquoi tant de zèle ?

Pourquoi cette urgence à dispenser tous nos concitoyens nantis ou pas, d’avance des frais ?

Le SNPP s’est de longue date, y compris avant la première mouture du projet de loi, ému de l’évolution des réflexions des politiques sur la question de l’assurance maladie, et de son infléchissement vers la substitution de l’assurance privée à la solidarité nationale.

Sous prétexte de la mesure démagogique par excellence du tiers payant généralisé, le projet  introduit le cheval de Troie de l’assurance privée dans le dispositif de prise en charge. L’obligation de souscrire à une assurance privée, c’est à dire l’équivalent de l’Obama care est préférée à une réelle amélioration de la prise en charge sécu. Le déficit a bon dos.

Il serait assez facile de montrer que la difficulté d’accès aux soins est davantage le fait des inégalités sociales, de la pauvreté, de l’augmentation de la précarité, des choix d’aménagement du territoire et de la démographie médicale que celui des tarifs de la  médecine de ville. Mais il est tellement plus aisé de dénoncer les médecins.  Si c’est l’ensemble de la loi qui nous semble devoir être remis en question, en particulier concernant la Psychiatrie qui verrait aggravés les effets de la loi  » HPST » que nous avons dénoncée, nous nous attachons surtout à la question du tiers payant généralisé. Nous sommes  particulièrement alertés par le risque du glissement de la solidarité nationale vers l’assurance privée. Ce glissement à notre sens introduirait une plus grande inégalité dans l’accès aux soins, les prises en charge devenant strictement corrélées aux taux des cotisations. Nous y voyons aussi le danger de voir notre convention collective à laquelle nous sommes fermement attachés se transformer en contrat de gré à gré, les assurances privées proposant leur « panier de soins » et ayant d’ores et déjà tenté de faire voter par la représentation nationale la possibilité de conventionnement des professionnels de santé. Notre indépendance professionnelle, le droit des patients à la confidentialité se verraient menacés. A la solidarité nationale resterait ce qui coûte, l’assurance privée dite mutuelle bénéficiant de ce qui rapporte.

C’est ce qui motive notre opposition totale à ce dispositif, au-delà d’autres considérations développées par les autres syndicats et centrales

Notre engagement auprès de nos patients, notre engagement pour nombre d’entre nous dans le service public et le secteur médico-social en complément de l’activité libérale nous permet d’affirmer que  la disparité de l’accès aux soins dépend moins de la question des honoraires des médecins que des disparités sociales, territoriales en particulier.

La majorité de nos adhérents exerce en secteur 1 mais nous refusons le discours de la ministre qui tend à rendre les seuls dépassements d’honoraires responsables de la difficulté de l’accès aux soins de nos concitoyens.

Dans le journal Le Monde du 16/01/2015, Jean de Kervasdoué qu’on ne saurait soupçonner de complaisance à l’endroit de la médecine libérale, ou de désaccord idéologique avec l’actuel gouvernement publie un article qui reprend avec talent et précision l’essence de ce qui fonde notre analyse et il nous a autorisé à diffuser son article, ce dont nous le remercions.

Dr François Labes Vice-présidente AFPEP-SNPP

 


 

La grève des médecins est justifiée Par Jean de Kervasdoué (Professeur émérite au CNAM)

Pour comprendre les projets du gouvernement et la grève des médecins, il est nécessaire de rappeler quelques principes fondateurs de notre système de financement des soins médicaux et la nature des réformes en cours ou projetées. L’Assurance-maladie, créée en 1930 pour les travailleurs salariés de l’industrie, s’est progressivement étendue à partir de 1946, mais n’a été généralisée que le 1er janvier 2000 (avec la « couverture maladie universelle », CMU) à tous les résidents légaux sur le territoire national. A l’origine, elle était vraiment une assurance : les cotisations n’étaient pas proportionnelles au revenu (elles étaient plafonnées et donc les mêmes pour tous les revenus au-dessus du plafond) et une partie des soins n’étaient pas remboursés. Il y avait – il y a toujours – une franchise que l’on appelle le « ticket modérateur », car l’on pensait que si les assurés payaient une partie des frais de leur poche, ils modéreraient leurs dépenses de soins. Comme le montant de cette « modération » pouvait être élevé, il a été couvert par des mutuelles, des assurances, des institutions de prévoyance (IP) puis, enfin, pour les bénéficiaires de la CMU, par une taxe sur les autres complémentaires ! Ce ticket modérateur est faible pour les soins hospitaliers (9 %), élevé pour l’ensemble des soins de ville (46 %) et très élevé pour les prothèses dentaires et les lunettes (95 %). Ne cherchez pas de logique autre qu’historique dans ce partage entre assurance complémentaire et Assurance-maladie, il n’y en a pas.

Optique et soins dentaires

Ainsi, nous sommes les seuls, en France, à avoir des médicaments remboursés – donc pourtant potentiellement efficaces – à 15 %, 30 %, 65 % ou 100 % ; nous sommes les seuls à avoir un fort ticket modérateur pour les soins de premier recours (les généralistes notamment) ; nous sommes les seuls à mieux rembourser les médecins (70 %) que les infirmières (60 %), et si les soins chirurgicaux sont quasiment tous pris en charge à 100 % par l’Assurance-maladie, ce n’est pas le cas des hospitalisations en médecine – autrement dit, ceux qui n’ont pas la « chance » d’être opérés peuvent avoir un ticket modérateur élevé ; etc. Or les réformes en cours ne touchent pas au partage, sans logique sanitaire ni économique, entre régimes obligatoires et complémentaires, elles essayent simplement d’en compenser les inconvénients. Si 22 % de nos concitoyens disent retarder leurs soins pour des raisons financières, il s’agit surtout d’optique et de soins dentaires, et rarement des consultations en médecine de ville (5 % des cas).

La première réforme, entrée en vigueur en 2015, tente de réguler le prix des lunettes et des prothèses et définit pour leur remboursement des prix planchers et des prix plafonds. Complexe (il y a plus de huit tarifs plafonds en optique !), la réforme va contraindre toutes les assurances complémentaires à dénoncer les contrats en cours (coût : 150 millions d’euros) et ne va rien réguler du tout car, dans certains cas, le « plancher » est plus élevé que les prix actuels les plus bas (bien que non régulés), et les plafonds sont tellement hauts qu’ils ne vont pas gêner grand monde…

La deuxième réforme, applicable au premier janvier 2016, est celle de l’Accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation de l’emploi. Cette réforme inattendue a été arrachée à l’occasion d’un accord sur l’emploi. Elle contraint toutes les très petites entreprises (TPE) à offrir une assurance complémentaire santé. Elle ne couvrira que 400 000 personnes supplémentaires, coûtera 1 milliard d’euros à l’Etat, 1 milliard d’euros aux TPE et privera la Sécurité sociale d’environ 500 millions de recettes, soit un coût global de 2,5 milliards d’euros (6 250 euros par personne couverte) ! Les travailleurs précaires, les chômeurs et les retraités n’en bénéficieront pas.

 

Pérennité de la Sécurité sociale menacée

Quant au projet de réforme du tiers payant généralisé, encore au stade de projet, il consisterait à transférer à l’Assurance-maladie la responsabilité du remboursement de sa part et de celle des complémentaires. Il est vraisemblable que cette disposition soit peu compatible avec le droit européen et français. En outre, et c’est pour cela que les médecins réagissent, cette réforme annonce paperasserie, impayés et relations difficiles avec les patients, car les médecins sont dans l’incapacité de savoir si leurs patients disposent ou non d’une « complémentaire santé » et si celle-ci est bien à jour. Les risques d’impayés sont donc réels. De surcroît, ils se demandent comment un système informatique qui doit relier tous les régimes obligatoires et tous les assureurs complémentaires sera mis en place. Pourquoi, en outre, concentrer tous les pouvoirs entre les mains de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés et se priver du rôle régulateur que peuvent avoir les complémentaires dans, par exemple, la gestion des dépassements d’honoraires et des parcours de soins ? Par ailleurs, les complémentaires vont-elles longtemps accepter de collecter les cotisations de leurs adhérents tout en se dessaisissant de leur gestion ? Pourquoi, enfin et surtout, instituer une avance de frais de 48 heures (temps moyen de remboursement d’une feuille de soins) pour la très grande majorité des Français qui peuvent avancer 23 €, et ne pas avoir limité la réforme aux bénéficiaires de la CMU et de l’aide complémentaire santé (ACS) ? La pérennité de la Sécurité sociale est menacée par la dette et n’a pas besoin de l’aide supplémentaire de ces réformes discutables. La plus grande inégalité du système de santé est-elle d’ailleurs aujourd’hui, en France, celle de l’accès financier aux soins ou plutôt, comme je le pense, l’inégalité des soins médicaux eux-mêmes, excellents ici, plus quelconques ailleurs ? Mais pour réduire cette inégalité-là, il faut le faire avec, et pas contre le corps médical. Curieuses réformes donc, généreuses avec le temps des uns et l’argent des autres, et qui ne touchent en rien à l’absurdité d’un ticket modérateur qui n’a jamais rien modéré.

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