Les débuts de la télémédecine pour tous
Depuis septembre 2018, l’avenant 6 à la convention médicale met en place la généralisation de la télémédecine, cantonnée jusqu’ici à des expérimentations. Voici les principaux principes à connaitre avant de se lancer. Pas mal de cas particuliers existent, n’hésitez pas à contacter le SNPP dans ces cas.
Nous explorerons aussi ici les enjeux éthiques de l’affaire…
La première étape est d’ores et déjà fonctionnelle : la téléconsultation, qui permet à un patient de « voir » un médecin à distance. En 2019, la téléexpertise viendra compléter ces évolutions de la médecine : elle permet à un médecin de demander un avis spécialisé à un confrère, les deux étant rémunérés.
TELECONSULTATION (TC) :
Les psychiatres ont souvent déjà une petite expérience de consultation pour des patients bien connus qui partent vivre ailleurs (souvent pour une durée limitée) et demandent avec insistance à garder un contact téléphonique. Ces « consultations » étaient rarement un service gratuit, et n’ouvraient pas droit à remboursement par la sécurité sociale. Il n’a jamais été question qu’elles remplacent complètement les consultations présentielles.
D’autre part, les appels téléphoniques de patients sont le plus souvent très ponctuels et relèvent d’un très rapide avis, ou concernent des horaires de rendez-vous… mais débordent parfois, et notamment dans des situations d’urgence ressentie…
Ces deux cas pourront désormais être facturés et remboursés par la sécurité sociale si le nouveau cadre des TC est respecté.
Techniquement, tout est en place, et la psychiatrie est en première ligne puisque l’examen somatique y est beaucoup plus rare qu’ailleurs.
Tout patient peut bénéficier d’une TC, et tout médecin peut la pratiquer. Par contre c’est le médecin qui est seul décisionnaire de la pertinence d’une TC.
Deux conditions sont néanmoins à réunir pour autoriser le remboursement sécurité sociale :
- Le parcours de soins doit être respecté : adresse initiale par un médecin traitant pour les patients de plus de 26 ans.
- Le médecin doit avoir déjà vu ce patient en consultation présentielle dans les 12 mois précédant la TC. (condition annulée en raison de la crise du Covid19)
Les TC doivent le plus possible alterner avec des consultations présentielles.
Techniquement, la TC est obligatoirement en vidéo (l’appel téléphonique ne relève pas de la consultation remboursable). Presque tous les ordinateurs portables sont équipés d’une webcam, sinon on en trouve pour environ 20 à 50 €.
Bien sûr, le patient et le médecin doivent veiller à utiliser des lieux permettant la confidentialité et la tranquillité de leurs échanges.
Pour la facturation, le patient devant être précédemment connu, il faut utiliser la carte vitale en mode « dégradé » c’est-à-dire sans la carte, avec la mémoire de l’appareil. Le « CNPSY » est simplement remplacé par « TC » pour un même montant de 39 €. Le MPC et le MCS s’ajoutent dans les conditions habituelles selon votre secteur d’exercice. A noter que l’avis ponctuel de consultant (APY) n’est pas autorisé en TC. Par dérogation, il n’est pas nécessaire d’envoyer de justificatif pour l’utilisation du mode dégradé de télétransmission pour les TC.
Si le praticien n’a jamais passé la carte vitale du patient (nouveaux patients le plus souvent), une feuille de soins papier devra être envoyée par la poste.
Enfin, un compte rendu de consultation devra être fait dans le dossier médical (voire le DMP quand il existe) selon les règles habituelles, avec éventuel retour au médecin traitant bien entendu…
A noter que jusqu’à preuve du contraire, le patient et le médecin doivent cependant être en France bien entendu, au risque de poursuite pour exercice illégal de la médecine si un médecin français effectue une téléconsultation pour un patient sur le sol américain par exemple, ou si un médecin étranger venait à proposer des consultations à des personnes en France. Dans l’attente des premières jurisprudences, le SNPP ne saurait que vous recommander la plus extrême prudence en matière de droit international de la santé !
Côté pratique enfin, la sécurité sociale reconnait FaceTime, Whatsapp ou Skype comme suffisant en terme de sécurisation des données pour la communication audiovidéo. Mais ces services ne permettent pas la sécurité des transferts d’ordonnance éventuel, ou d’examens complémentaires (suivi biologique par exemple). Les email habituels non sécurisés ne sont pas autorisés pour la communication de données soumises au secret médical (mais le patient peut nous lire son document, ou nous le montrer à l’image pendant la TC)[1].
On peut envoyer l’ordonnance par courrier postal, ou la faxer à une pharmacie.
Le paiement à distance peut se faire par virement mais n’est pas forcément bien vu de tous.
Des plateformes de TC se développent à toute vitesse pour s’emparer d’un marché promis à un bel avenir. Elles proposent un système complet clé en main, sécurisé côté patient et côté médecin, permettant la communication audiovidéo bien sûr, la gestion d’un planning en ligne, de figurer donc parmi une liste de médecins consultables sur leur site (ce qui n’exonère pas du parcours de soins et de voir une première fois le praticien en consultation physique). Ces plateformes proposent un paiement par carte bleue pour le patient, avec un virement ensuite au médecin. Bien sûr, tout ça est pratique pour assurer la sécurité et la fonctionnalité de la TC… mais cela a un coût ! Par exemple, Doctopsy.com (créé par une psychiatre), et Doctolib proposent des abonnements mensuels. D’autres facturent des frais pour chaque téléconsultation.
Le forfait structure sera complété pour couvrir les nouveaux frais : 350 € pour équipement, frais des plateformes, etc (+ 175 € pour s’équiper en appareils médicaux connectés éventuels (tensiomètre, glucomètre, oxymètre à distance, etc…) mais qui concernent peu les psychiatres). Ces 350 € couvriraient environ 3 à 5 mois d’abonnement pour un secteur 1. Les secteurs 2 peuvent répercuter les frais, mais attention pour ceux qui auraient choisi l’OPTAM, cela augmente mécaniquement le taux de dépassement qui risque donc de dépasser ce qui est autorisé dans votre contrat… et donc vous risquez de ne pas bénéficier des réductions de cotisation sociale de l’OPTAM !
Pour tout savoir, suivez les liens :
- le dossier de presse de l’assurance maladie, sept 2018
Enfin, la pratique de la télémédecine doit être déclarée à votre assureur RCP par écrit afin qu’elle soit spécifiée dans le contrat. Cela n’entraîne pas de surcoût, mais sinon, vous risquez de ne pas être assuré en cas de litige ! Lettre RCP Téléconsultations.
TELEEXPERTISE (TLExp) :
La TLExp, c’est l’avis qu’un médecin demande à un autre médecin plus spécialisé ou expert dans un domaine particulier. Ça existe depuis toujours, la nouveauté c’est de le rémunérer pour les deux médecins dans un certain cadre.
Dès 2019, la TLExp sera autorisée pour les patients en ALD, en déserts médicaux, les patients en EHPAD, les détenus, le médico-social, les « maladies rares »… puis dès 2020 pour tous les patients.
Techniquement, la TLExp peut se faire sans vidéo, par échange d’emails sécurisés notamment, mais pas par un simple coup de fil. Il faudra donc utiliser le service MSSanté/mailiz qui est gratuit et obligatoire pour tout échange de données relevant du secret médical depuis déjà quelques années (https://mailiz.mssante.fr/). Occasion de de rappeler que tout échange de données médicale personnelle via email non sécurisé est déjà rigoureusement interdit.
Deux niveaux de complexité sont prévus (mais pas encore totalement précisés). Au premier niveau, TLExp simple, l’expert consulte par exemple un examen complémentaire, une photo de lésion cutanée, une photo de rétinographie, bref « un avis rapide à la lecture d’un document dans le cadre d’une situation clinique simple ». La TLExp approfondie, elle exige « un avis circonstancié » dans le cadre d’une « situation clinique difficile et/ou d’un malade fragile » (bilan pré chimiothérapie, suivi d’évolution complexe de maladie inflammatoire…)
Le niveau 1 ouvrira droit à 12 € pour l’expert, et 5 € pour le médecin requérant pour peu que le patient soit informé, que son consentement soit recueilli, qu’un compte-rendu soit rédigé et mis au dossier médical. Un maximum de 4 actes /an/médecin pour un même patient est prévu. Pour le médecin requérant, c’est un maximum de 500 € /an.
Pour le niveau 2, on passe à 20 € pour l’expert, 10 € pour le requérant.
ENJEUX ETHIQUES ET CONSEQUENCES SYNDICALES :
Deux principaux enjeux éthiques sont à étudier dans la mise en place de la télémédecine :
- Qu’est-ce qu’une téléconsultation d’un point de vue clinique ?
Le sacrosaint « transfert » peut-il s’appliquer en téléconsultation ? la relation thérapeutique est-elle modifiée par l’outil utilisé ? Il serait difficile de croire que rien ne change. Tout change-t-il pour autant ? Doit-on considérer que le changement est accessoire ou qu’il est profond ? La nécessité de la vidéo corrige déjà quelques risques de « déconcentration » d’un côté ou de l’autre. Mais il s’agit certainement d’une nouvelle pratique qui se développera certainement beaucoup, et qu’il convient de questionner. La première impression est troublante : ce n’est pas pareil, mais ce n’est pas moins bien a priori, et les patients montrent un investissement des plus sérieux dans l’aventure. Sans doute donc une nouvelle pratique, qui ne doit pas remplacer l’ancienne, devrait plutôt rester marginale, mais répond à des situations où la demande de soin est légitime et le médecin ne peut plus l’ignorer sous prétexte qu’on ne vient pas jusqu’à son cabinet. Que ceux qui s’offusqueraient de cette pratique en profitent pour exercer dans les déserts médicaux.
- Qu’est-ce qu’une téléconsultation dans un monde marchand de plus en plus ubérisé ?
Les conditions de parcours de soin et de patient préalablement connu viennent limiter le risque de l’ubérisation de la médecine. Mais pas l’abolir. On peut craindre que des plateformes industrielles ou assurantielles ne proposent leurs services low-cost à la place des soins présentiels de qualité que la sécurité sociale défend ici. Ainsi, des exceptions à ces deux principes sont prévues pour les patients sans médecin traitant, ou si le médecin traitant n’est pas disponible assez vite. Dans ce cas, pour empêcher des plateformes de s’emparer d’un marché non régulé, les patients qui souhaitent obtenir des remboursements de leurs TC devront se tourner vers des Organisation Territoriale de Soins (communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), en équipes de soins primaires (ESP), en maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) ou en centres de santé). Ces « organisations » doivent réorienter au plus vite vers le parcours de soin normal, et proposer un médecin traitant. Si on peut craindre des dérives, il faut néanmoins rappeler qu’une médecine low-cost resterait une médecine à pleine responsabilité professionnelle…
Enfin, ce dossier pose la question de la place de nouvelles entreprises privées dans les soins. Ces dernières années ont vu apparaitre :
- Les éditeurs de logiciels médicaux de gestion de cabinet, de dossiers médicaux, les logiciels d’aide à la prescription : hellodoc, axissanté…
- Les éditeurs de solution de télétransmission de feuilles de soin électroniques, parfois intégrés dans les logiciels de gestion de cabinet, ou par un simple boitier lecteur de carte vitale sans ordinateur.
- Les banques qui fournissent des lecteurs de carte bleue, croisant donc le secteur bancaire avec le secteur de la santé, et encore plus quand le lecteur de carte bleue sert de lecteur de carte vitale. Ce qui n’est pas sans impact pour les patients qui négocient une assurance de crédit immobilier par exemple.
- Les messageries sécurisées : apycript (payant), mailiz-mssanté (gratuit)
- Les agendas en ligne partagés comme Doctolib ou MonDocteur (qui vient d’être racheté par doctolib).
- Et désormais les plateformes de TC, parfois croisées avec les logiciels de gestion de cabinet, la télétransmission, la messagerie sécurisée et l’agenda en ligne.
Ce pouvoir croissant d’entreprises privées représente une puissance économique gigantesque à l’échelle internationale, parfois comparée à celle de l’industrie du médicament. Ces entreprises, comme les complémentaires santé, ont tendance à fusionner quand elles survivent à une concurrence torride.
La sécurisation des données devient tellement complexe qu’il devient quasi illusoire d’imaginer des solutions logicielles développées par des médecins, dans un but non lucratif.
Or la sécurisation des données est forcément faillible aussi bien sur les bons vieux dossiers papiers que sur les versions informatisées, mais les failles n’y ont pas les mêmes conséquences : un cambriolage qui donnerait accès aux dossiers papiers n’aurait qu’un impact local. Un piratage informatique peut avoir une ampleur mondiale. Et on a commencé à en voir des effets. Ainsi aux Etats-Unis: 176 millions de dossiers de santé ont été piratés entre 2010 et 2017 [2].
Il est plus que jamais nécessaire d’avoir un recul éthique sur les pratiques, qui ne peut se contenter d’une simple passivité devant la modernité qui avance quand même.
Dr Elie Winter, Paris
[1] Google assume par exemple de lire nos emails, et les transmettre à des sociétés tierces en vue de cibler la publicité comme l’a révélé le Wall Street Journal le 2/07/2018. Tech’s ‘Dirty Secret’: The App Developers Sifting Through Your Gmail Software developers scan hundreds of millions of emails of users who sign up for email-based services, By Douglas MacMillan
[2] JAMA. 2018;320(12):1282-1284. doi:10.1001/jama.2018.9222 et https://www.20minutes.fr/sante/2343647-20180926-etats-unis-176-millions-dossiers-sante-pirates-entre-2010-2017