Secret professionnel (2). Partage de secret ou partage d’informations ? Par Sophie STEIN


L’expression « secret partagé » est assez répandue dans le champ médical, médico-social et social. On retrouve cette expression sur le site de la MACSF, sur celui du Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) et dans de nombreux articles. Mais qu’en est-il dans la loi ?

1. Les dérogations au secret prévues par la loi.

La loi définit certaines situations dans lesquelles le médecin peut être autorisé à déroger à l’obligation de secret professionnel qui est la sienne. Ces situations sont des exceptions à la loi, ou autorisation d’infraction. Elles sont définies dans l’article L226-14 du Code Pénal. Dans ce même article, il est précisé à qui le médecin peut révéler, dans chacune de ces situations, l’information à caractère secret qu’il détient. Selon le cas, il s’agira de la Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes (CRIP), du Procureur ou du Préfet. Il est précisé aussi si l’accord de la victime et son information sont requis ou non pour effectuer cette révélation.

L’article L1110-4 du Code de la Santé Publique (CSP) prévoit deux situations qui s’ajoutent à celles énumérées dans l’article 226-14, dans lesquelles le médecin peut déroger au secret professionnel : en cas de diagnostic ou de pronostic grave et en cas de décès. Dans ces situations, le médecin peut délivrer une information à des personnes (famille, proche, personne de confiance dans la première situation, ayants droit dans la seconde situation), à moins que le patient ne s’y oppose ou ait exprimé une volonté contraire avant son décès.

2. L’échange ou le partage d’informations.

Ce même article, créé par la loi dite Kouchner du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de soin, introduit en droit la notion d’échange ou partage d’informations entre professionnels du soin.

Cinq ans plus tard, la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance introduit la possibilité pour les professionnels du soin d’échanger et de partager des informations avec des professionnels du secteur médico-social et social dans le domaine de la protection de l’enfance.

Cette possibilité d’échange et de partage d’information sera ensuite étendue aux domaines de la prévention, du suivi social et du suivi médico-social par des modifications successives de l’article L1110-4 du CSP.

Dans le domaine de la protection de l’enfance, les conditions du partage d’information sont définies par l’article L226-2-2 du Code de l’Action Sociale et des Familles (CASF) ; il est possible, entre personnes soumises au secret professionnel, s’il a pour finalité « d’évaluer une situation individuelle ou de déterminer et de mettre en œuvre les actions de protection et d’aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier ». Ne doivent être partagées que les informations strictement nécessaires à la mission de protection de l’enfance. Les tuteurs légaux de l’enfant et celui-ci, en fonction de son âge et de sa maturité, doivent être préalablement informés.

3. L’évolution du cadre légal protège-t-elle des condamnations disciplinaires, pénales ou civiles le médecin qui signale, transmet une information préoccupante, partage ou échange des informations ?

En juin 2021, un article publié sur « Le Média Social » revient sur trois décisions de justice, un arrêt de la Cour de Cassation et deux arrêts procès par le Conseil d’État.

L’arrêt de la Cour de Cassation (pourvoi n°20-86.000) confirme le non-lieu prononcé par le juge d’instruction suite à la plainte de la mère d’un enfant à l’encontre de deux médecins pour violation du secret professionnel. Pour la Cour de Cassation comme pour le juge d’instruction, l’accusation de violation du secret professionnel ne peut être retenue à l’encontre de ces médecins qui ont partagé des informations à l’occasion d’une réunion, dans la mesure où l’ensemble des conditions prévues dans l’article L226-2-2 du CASF étaient réunies.

Les deux arrêts prononcés par le Conseil d’État annulent des interdictions temporaires d’exercice prononcées par le CNOM à l’encontre de deux psychiatres qui avaient signalé à plusieurs reprises des suspicions de violences sexuelles exercées par leurs pères sur des enfants.

Dans le premier arrêt, le Conseil d’État considérant que les signalements adressés par le psychiatre au Juge des Enfants qui était déjà saisi de la situation ne constituaient pas, à eux seuls, un motif suffisant pour caractériser un manquement aux dispositions légales et justifier une sanction disciplinaire lève l’interdiction d’exercice d’un mois prononcée par le CNOM.

Dans le second arrêt, le Conseil d’État rappelle qu’un signalement transmis par le psychiatre au Procureur pour l’alerter « sur des faits présumés de violence sexuelle au préjudice d’un enfant (…) et susceptibles d’être attribués à son père » n’est pas un certificat médical. Et que si un certificat médical ne peut être rédigé que sur la base des éléments médicaux constatés par le médecin, il n’en est pas de même d’un signalement (ou d’une information préoccupante) qui a pour objet de transmettre aux autorités administratives ou judiciaires « tous les éléments utiles qu’il (le médecin) a pu relever ou déceler dans la prise en charge de ce patient, notamment des constatations médicales, des propos ou le comportement de l’enfant et, le cas échéant, le discours de ses représentants légaux ou de la personne accompagnant l’enfant ».

À propos de la décision de la Cour de Cassation, Virginie Fleury, rédactrice juridique pour « Le Média Social », écrit « cette décision va dans le sens d’une sécurisation des échanges d’informations sur la situation individuelle d’un enfant entre professionnels concourant à la protection de l’enfance » (1). Les actions engagées par les psychiatres et les décisions citées se rapportant à ses actions sont le reflet de l’intégration progressive des nouvelles dispositions encadrant la révélation, le partage et l’échange d’informations, particulièrement dans le domaine de la protection de l’enfance, sauf peut-être par le CNOM. Néanmoins, c’est au terme de procédures de plusieurs années que les psychiatres incriminés ont été acquittés ou ont vu leur condamnation disciplinaire à interdiction temporaire d’exercice annulée. Parler de « sécurisation » n’est donc peut-être pas le terme le plus adapté.

En conclusion, on retiendra que le « secret partagé » n’existe pas en droit. Comme l’écrit P. Verdier, « un secret partagé n’est plus un secret » (2). Même si ce qui nous est confié se trouvait être un « secret de polichinelle » (3), cela ne nous autoriserait pas pour autant à le partager. Le cadre légal évolue, la loi distingue d’une part les situations de dérogation à l’obligation de secret, d’autre part les situations de partage et d’échange d’informations. Dans chacune de ces situations, la possibilité d’agir du médecin s’en trouve encadrée. Il nous reste à nous demander à chaque fois et préalablement à la révélation ou au partage d’informations : à qui ou avec qui, comment, pourquoi et dans quel but ?

(1) Fleury V., Révélation de maltraitance sur enfant : pas de violation du secret professionnel, Le Média Social, 23/06/2021.

(2) Verdier P., Secret professionnel et partage des informations, Journal du droit des jeunes, 2007/9, n°269, 8-21

(3) Stein S., Secret professionnel (1). Du contenu du secret, un peu d’histoire, BIPP nº80, décembre 2021 (p58-59)

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