Téléconsultations : retours d’expériences. Ambivalences

« Me revoilà comme à l’époque de Pinochet, la peur dehors »

« La queue devant les magasins, c’est comme en 40, ce que mes parents m’ont raconté »

« C’est comme l’an dernier, quand j’étais en arrêt de travail depuis des mois, à ne pas arriver à sortir de chez moi »

« Après 2 ans d’hospitalisation, je me retrouve enfermée chez moi »

« Mon mode de vie est devenu « légitime » »

« Tous ces décès me rappellent la mort de mon mari »

J’ai noté ces quelques commentaires quasiment le même jour. Autour du 16 mars 2020… en téléconsultation.

Circonstances exceptionnelles, obligeant à une rupture de cadre dans nos pratiques… à supposer que le cadre soit matériel. Voilà une occasion d’en avoir le cœur net.

Du jour au lendemain, tout le monde a dû s’adapter. Les psychiatres libéraux aussi. Et nous pouvions nous considérer favorisés par rapport à beaucoup d’autres qui ne pouvaient pas adapter leur pratique en télétravail sans y perdre beaucoup plus que nous : kinésithérapeutes, restaurateurs, beaucoup de médecins d’autres spécialités… qui se retrouvaient en impossibilité de travailler.

Pour nous, un autre cadre potentiel existait déjà : la téléconsultation. Usage marginal jusqu’à l’ouverture par la sécurité sociale en 2018. Il y a toujours eu quelques suivis téléphoniques, puis vidéo, par exception, pour des patients connus, partant un temps à l’étranger ou dans une autre ville…

Nous étions déjà nombreux à avoir déjà essayé, avec réticence, pour permettre un accès aux soins autrement compliqué. Voilà que la pratique devenait presque incontournable, dans un moment où nous étions soumis autant que les patients à une situation inédite. En décembre 2019, les grèves des « gilets jaunes » avaient poussé certains à développer cette pratique… à Paris essentiellement.

Alors nous y voilà, le grand saut. Chacun a dû essayer d’appliquer le protocole mis en place par la sécurité sociale et le ministre de la santé. Vidéo obligatoire pour ouvrir le droit au remboursement. Tiers-payant et prise en charge à « 100% » par la sécu (tout en secteur 1 mais sans les dépassements d’honoraires en secteur 2). Télétransmission « en mode dégradé » avec une carte vitale virtuelle, ou un simple numéro de sécu. Choisir un ou plusieurs outils de communication. Faut-il passer par une plateforme type doctolib, qare ? Skype ou WhatsApp ou face time font-ils aussi bien ? Y a-t-il plus de sécurité en passant par une société qui garantit la sécurité, ou en évitant cet intermédiaire supplémentaire ?

La sécurité sociale a assoupli les règles au fur et à mesure. Les exceptions à l’obligation de la vidéo se sont multipliées : ALD, patients âgés, zones blanches (pour le patient ou le psychiatre)… Mais malgré les lettres du SNPP (et d’autres syndicats et centrales syndicales) pour demander une exception pour la psychiatrie, pas de généralisation d’autorisation de consultations téléphoniques pour la psychiatrie libérale… alors que nos collègues du public avaient comme consigne d’utiliser le téléphone par manque de moyen pour installer des vidéoconsultations.

La technique est à la fois sidérante d’efficacité, et agaçante d’imperfections. Nous avons travaillé dans des conditions qu’on aurait qualifiées de futuristes dans un passé pas si lointain que même les plus jeunes médecins ont connu. Mais quelle frustration quand le réseau est « saturé, bloqué ». Comme si ça devait marcher parfaitement ! Comme si on pouvait abolir l’espace, et le temps nécessaire pour diffuser les images et le son d’un endroit à un autre. Et cette obstination de la sécurité sociale à mettre la vidéo comme condition indispensable, même quand cela doit se faire aux dépens du son.

Et dans le même temps, rester concentrés. Quels effets pour le patient, qui vit les mêmes questionnements, chez qui se réveillent d’éventuels traumatismes…

Certains ont décidé de « tout basculer en téléconsultation » pour respecter le confinement le plus possible (et sauvegarder leur activité). D’autres ont mis un point d’honneur à éviter le plus possible de s’y mettre, gardant leurs cabinets ouverts et faisant venir tous les patients qui le voulaient bien.

Certains libéraux ont suspendu leur activité de cabinet, et sont allés aider des services hospitaliers en souffrance.

J’ai pu récolter plusieurs témoignages de psychiatres, dont la variété ouvre encore plus de questions. Pour certain.e.s, l’image était rassurante. « Elle est nettement préférable à un entretien téléphonique ». Pour d’autres, la vidéo gêne : « L’enveloppe sonore est commune et l’on peut s’imaginer au cabinet, comme lorsque nous travaillions en présence. Alors qu’avec la vidéo chacun est dans un lieu différent visuel. ». Chaque fois, « les patients sont du même avis » ! Pour ma part, j’ai fini par leur demander ce qu’ils préféraient : peu se souciaient de cette question, tous s’adaptaient volontiers, l’essentiel n’est pas là, c’est de leur angoisse qu’ils voulaient qu’on s’occupe.

Occasion tout de même de « voir » : un enfant qui passe, «  le petit chien dont Melle S. m’avait tant parlé », l’affiche au mur en arrière-plan (vertigo, Dr Folamour…) ou le décor (« goûts certains pour la décoration », fouillis, ordre, intérieurs somptueux qu’on n’aurait pas imaginé, ou réalité de la misère…).

Mises en scène : sur la terrasse, dans un jardin (avec l’ado en arrière-plan qui consulte son propre psy au même moment), dans la rue par manque d’intimité chez soi, dans la voiture bien à l’abri… Les psychiatres réfléchissent beaucoup à l’aménagement de leur cabinet, les patients parfois aussi.

La plupart des psys témoignent d’une pratique fatigante, un rythme à apprivoiser. Trop vite entrainés à passer d’une consultation à la suivante sans même se lever, d’un simple clic… avec des effets de saturation de la concentration, et de grande fatigue en fin de journée.

Moments d’humour aussi : le choix d’un pseudo sur Skype, tendre un mouchoir à travers l’écran…

Se mettre à l’aise : pouvoir consulter en chaussettes, fumer pendant les séances, d’un côté comme de l’autre de l’écran ou du téléphone.

Un cadre qui permet une certaine souplesse : pour certains, l’heure c’est l’heure, confinés ou pas, téléconsultation ou présentiel, le cadre doit rester. « Les habituels retardataires ont parfois horreur de patienter » d’ailleurs. Pour d’autres, dans ces conditions, faire attendre le patient (ou son psy) en sachant que l’autre n’est pas débordé, que ce n’est pas grave, que le rapport au temps n’est plus le même…

Variations sur le paiement : quelques témoignages de psychanalystes qui ont demandé au patient de venir déposer une enveloppe dans la boite aux lettres (« les patients étaient tout à fait d’accord, et prenaient ça à cœur »), paiements par virements, par carte bleue, paypal, lydia, envoi de chèques… ou pour d’autres, paiement « à notre retour, pour certains un soulagement dans le genre on va donc se revoir ». Un sacré bazar en comptabilité pour la plupart (qui a payé quelle séance et par quel moyen ?)

Et pendant ce temps, tous les effets cliniques. Toutes ces consultations ou la rupture de cadre donne l’occasion de dire ce qui n’avait pas pu être dit (traumatismes passés, agressions sexuelles, violence du conjoint, soulagement du télétravail qui permet de ne plus être exposé au supérieur dont le patient n’avait pas réalisé la dimension harcelante ou maltraitante…). Et toutes ces consultations bloquées (« je vous parlerai de certaines choses quand on se reverra »). Toutes ces consultations de jeunes adultes partis se confiner chez leurs parents en province, avec l’impression d’être allé « dans la gueule du loup », et pour qui les téléconsultations ont pu permettre souvent de remettre au travail des problématiques anciennes laissées de côté.

De tous ces témoignages, personne n’a exprimé un souhait de travailler après la crise avec un maximum de téléconsultations, et surtout pas en exercice exclusif. Mais quelques patients ayant trop de mal à libérer du temps pour leurs consultations ont gardé des téléconsultations en regrettant « de ne pas pouvoir venir ». Les témoignages de retrouvailles au cabinet vont tous dans le sens d’un soulagement, d’une relation thérapeutique qui retrouve toute son entièreté.

Le travail théorique approfondi sur les effets respectifs de la crise, du confinement, de la téléconsultation nécessitera encore du temps. Que restera-t-il de tout ça ?*

Elie Winter

Retour en haut