« L’affaire Watelet » débute en 1884, avec le décès de Jules-Bastien Lepage, peintre alors célèbre, considéré comme l’un des représentants les plus importants du courant naturaliste français. Des rumeurs circulent, la presse s’en fait l’écho. Le peintre serait décédé d’une syphilis mal soignée par ses médecins dont le Dr Watelet.
En ce dernier quart de siècle, la syphiligraphie, partie de la médecine qui traite de la syphilis et ne s’appelle pas encore la vénérologie, est en plein essor avec les multiples traités écrits par le professeur Fournier. Véritable fléau social, cette redoutable affection est une grande pourvoyeuse de « cas ». Elle nourrit craintes et imaginaires en même temps qu’elle ternit les réputations et suscite la condamnation morale des personnes qui en sont atteintes. Le tréponème pâle n’a pas encore été identifié et les résultats du traitement par le mercure sont plus qu’aléatoires.
À l’époque, aucun texte ne réglemente de façon précise la pratique médicale. Il n’est fait mention des professionnels de santé que dans l’article 378 du code pénal instauré en 1810, qui porte sur le secret professionnel, sans en définir le contenu.
Le Dr Watelet, mis en cause par la presse, publie à son tour un article afin de rétablir la vérité sur la mort du peintre, décédé d’un cancer du testicule, et de restaurer son honorabilité professionnelle ainsi que la respectabilité de son patient, avec l’accord de sa famille.
Mais les autorités judiciaires ne l’entendent pas de cette façon. Des poursuites pénales sont engagées à l’initiative d’un procureur de la République et le Dr Watelet est condamné en décembre 1885 pour violation du secret professionnel. L’arrêt du 19 décembre 1885 de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation détermine qu’est soumis au secret « tout ce qui aura été appris, compris, connu ou deviné à l’occasion de l’exercice professionnel ».
Jusqu’à aujourd’hui, cette jurisprudence n’a jamais été démentie. L’article 4 du code de déontologie médicale adopté en 1941 la reprend : « le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est à dire non seulement ce qui lui a été confié mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ».
Un siècle après l’« affaire Watelet », le Dr Gubler, jusqu’alors médecin de la famille, devient médecin personnel de François Mitterrand récemment élu. En janvier 1996, quelques jours après le décès de l’ex-président, est publié « Le grand secret », co-écrit par le Dr Gubler et Michel Gonod, journaliste, qui font le récit du cancer de Mitterrand. Autre époque, autres mœurs, ce n’est pas de restaurer l’honneur du médecin ou la respectabilité de son patient dont il est question, mais plutôt de satisfaire – après-coup – au désir démocratique de transparence quand à l’état de santé de « ces malades qui nous gouvernent », le président Mitterrand lui-même s’étant engagé à observer cette transparence et faisant paraître, tout au long de ses deux septennats, des bulletins attestant…de sa bonne santé. Retiré rapidement de la vente, « Le grand secret » est à nouveau en librairie en 2005 après une décision de la Cour européenne des droits de l’homme invoquant la liberté d’expression.
Mais le Dr Gubler, condamné à quatre mois de prison avec sursis pour violation du secret professionnel, reste définitivement radié de l’Ordre des médecins.
Intégré, avec l’ensemble des articles qui composent le code de déontologie médicale au code de la santé publique en juillet 2004, l’article 4 y devient l’article R- 4127-4.
Deux ans auparavant, en mars 2002, la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite « Loi Kouchner » du nom du ministre de la santé de l’époque, avait créé l’article L1110-4 du Code de la Santé Publique (CSP) qui énonce que « Toute personne prise en charge par un professionnel, un réseau de santé, ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant » et plus loin « ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé… ». Après avoir été codifié par décret, le contenu du secret est désormais inscrit dans la loi qui n’établit aucune distinction entre informations concernant le diagnostic ou la thérapeutique et informations administratives, ni entre informations essentielles et annexes. À souligner aussi : la mention « dans l’exercice de sa profession » figurant dans l’article 4 du code de déontologie disparaît dans l’article L1110-4 du CSP. Ce qui n’est pas sans importance. Un médecin qui divulgue une confidence, même si celle-ci lui a été faite par une connaissance et en dehors de son exercice professionnel, peut se voir condamner pour violation du secret professionnel, ainsi que le confirme un jugement du Conseil d’État en juin 2015 (n° 385924).
On retiendra que le secret professionnel, instauré dans l’intérêt du patient, est total et absolu, que le décès du patient n’en délivre pas le médecin qui y est soumis en toutes circonstances et qu’il est inscrit dans la partie législative du CSP depuis 2002.