Certes, nous savions que ces négociations allaient être dures, qu’elles allaient être sous l’étroite surveillance de Matignon et de l’Elysée, mais nous ne pensions pas qu’elles prendraient cette tournure.
Alors qu’elles touchent à leur fin, le directeur de l’Assurance Maladie, a écrit, chose peu commune, à l’ensemble des médecins pour présenter la proposition de l’Assurance Maladie. Craindrait-il que les corps intermédiaires ne déforment ses propos ?
Quelle est cette proposition ?
Tout d’abord une augmentation, sans condition, de 1,5 euros de notre CNPSY, donc à 44 euros. Pas de quoi compenser l’inflation !
Ensuite, et les choses deviennent plus compliquées, on nous propose d’appliquer la fameuse logique du « pacte », logique « des droits et de devoirs », logique chère à l’Elysée au point qu’elle est retrouvée dans d’autres négociations actuelles, avec les enseignants entre autres. Cette logique porte un nom : le Contrat d’Engagement Territorial, que nous abrègerons selon le nouvel usage CET.
Pour commencer les droits : accéder à une nouvelle nomenclature des actes. Celle-ci hiérarchise les consultations en trois niveaux de complexité. Les consultations de psychiatrie seraient dans le niveau le plus élevé, portant la valeur de l’acte à 60 euros.
Ensuite, les devoirs, qui sont tellement complexes qu’ils ne sont même pas détaillés dans le courrier de l’Assurance Maladie. Au lecteur d’aller chercher plus loin s’il le souhaite ! Pour tenter de les résumer le plus simplement possible, le psychiatre souscrivant le CET devra s’engager dans trois domaines différents : l’augmentation de l’offre médicale, l’accès financier aux soins et la participation des soins du territoire.
Dès le premier domaine, on note, avec méfiance, un objectif de file active proposée. Bien évidemment, on ne nous donne pas le chiffre, on nous donne une indication : « valeur à p 70 ». C’est-à-dire ? Après éclaircissement, l’objectif est une file active supérieure à celle de 70% des psychiatres libéraux d’après les chiffres actuels de l’Assurance Maladie. Et en valeur absolue ? 350… C’est donc un système conçu avec l’idée que 70% des psychiatres ne le valident pas actuellement. Sans doute cet objectif est-il accessible pour ceux qui n’en sont pas loin mais sans doute que la moitié des psychiatres devraient bousculer profondément leur pratique pour y arriver.
350 patients en file active pour un psychiatre installé à temps plein… Il suffit que le patient soit vu une fois dans l’année pour être comptabilisé. Certains d’entre nous ont fait le calcul : sur 220 jours travaillés dans l’année, avec 16 rendez-vous de 30 min par jour, cela permet de voir chaque patient en moyenne… même pas une fois par mois.
Cet objectif touche à l’essence même de notre métier : pour le bien faire, nous devons pouvoir recevoir un patient autant que nous le jugeons nécessaire, il en va de notre éthique et de notre indépendance professionnelle. Notre travail n’est ni délégable, ni transférable. Cette cible de file active à atteindre prend donc pour nous la valeur d’une ligne rouge.
Certes, souscrire à ce contrat permet une revalorisation importante (jusqu’à 15% environ selon nos estimations pour les secteurs 1 et OPTAM, mais probablement 0% (ou moins!) pour les secteurs 2 parisiens). Et le tout au prix d’une attaque à l’indépendance professionnelle.
Parmi les autres conditions qui peuvent nous concerner, un minimum de 220 jours ouvrés par an, une obligation d’ouvrir les samedis matin, de participer à des réseaux de soin, à des permanences de soins, aux urgences…. Si toutes ces conditions ne sont pas cumulatives, certaines le sont. Et nous avons du mal à trouver qui pourrait au final valider ce CET. Bref un bel appât, mais inapplicable !
Rappelons que l’appât du gain a ses limites. Les psychiatres, comme la plupart des professions libérales, équilibrent leurs préoccupations financières avec leur charge de travail et leur éthique du soin.
En l’état actuel des choses, difficile de signer une telle convention.
SI aucun accord n’est trouvé, que se passera-t-il ? Un « règlement arbitral » : l’Etat a désigné un arbitre chargé de rédiger un équivalent de convention pour les 5 années à venir, la négociation devant reprendre dans les 2 ans. Que donnerait un tel règlement arbitral ? Nul ne le sait… même si a priori un règlement arbitral a pour vocation d’être moins favorable aux médecins que la convention proposée.
Nous regretterions que la négociation échoue mais ne sommes pas prêts à accepter des propositions allant à l’encontre de notre conception du soin et mettant en place les contraintes du salariat (horaires, nombre de jours de travail, obligation de recevoir un certain nombre de patients…) sans en donner les avantages (retraite, congés payés, protection en cas de maladie…).
Ces contraintes ne manqueraient sans doute pas de s’amplifier. Les termes d’une négociation n’ont pas à être fixés unilatéralement par un des partenaires, ce n’est pas une question de droits et devoirs. D’ailleurs, quels sont les droits et devoirs de l’Etat ?
L’Etat n’a pas à nous fixer des objectifs de résultat. Les médecins libéraux ne sont pas responsables de l’état du système de santé en France aujourd’hui. Nous avons toujours été ouverts au dialogue et à la réflexion commune et nous déplorons qu’il n’en soit pas de même en face. Et nous menacer de faire passer par la loi ce que nous n’accepterions pas par la convention n’est pas de nature à rétablir la confiance. Au contraire, nous voyons, avec inquiétude, apparaître en riposte des menaces de déconventionnement. Avec inquiétude car le déconventionnement n’est pas et n’a jamais été pour l’AFPEP-SNPP une option souhaitable. Mais si malheureusement une vague de déconventionnement devait se produire, les politiques ne pourraient s’en prendre qu’à eux-mêmes.
Plus que jamais, nous avons besoin d’une représentation syndicale forte afin de que nos idées et nos projets puissent être pris en compte, afin de défendre notre profession et son éthique. Pour cela, nous avons plus que jamais besoin de votre adhésion.