LE POINT SUR LES CMPP, menaces sur les soins en Nouvelle-Aquitaine

Urgence à se mobiliser et informer !

  

Réforme de l’ARS en pédopsychiatrie pour 2021: Démantèlement de l’organisation de la pédopsychiatrie pour un projet de plateforme anti-soin.

En décembre 2019, les CMPP de la région Nouvelle Aquitaine ont été sommés, sans préambule, de mettre en place une réforme massive, dans l’urgence et sous la menace de mesures financières et administratives. Comme dans d’autres régions, il s’agit de mettre en place des « plateformes de coordination et d’orientation »(plateformes PCO) tout neuro-développemental, (avec un objectif national effectif pour 2021) qui concernent en fait, tout autant le secteur privé, les CMPP que les CMPEA de l’hôpital public. Cette réforme était jusque-là passée inaperçue mais sa mise en action en Aquitaine s’est montrée beaucoup plus inquiétante dans la forme et toujours inacceptable pour le soin. Des collectifs de soignants se sont mobilisés et depuis décembre 2019, la résistance continue.

Cet article propose de reprendre rapidement les dispositifs actuels existants pour les demandes de soins en pédopsychiatrie : Quelles structures existent aujourd’hui pour accueillir les enfants en difficultés psychiques et lesquelles ? Quelle différence entre CMPP (centre médico-psycho-pédagogique) et CMPEA (centre médico-psychologique pour l’enfant et l’adolescent)

Puis je préciserai l’offensive de l’ARS (agence régionale de santé), en Nouvelle Aquitaine et les éléments importants du cahier des charges (pour le tout TND, trouble-neuro-développemental, le projet de plateforme et d’équipes mobiles à l’école), enfin je décrirai la résistance sur le terrain et le soutien des syndicats et du SNPP syndicat national des psychiatres privés.

Préambule sur le dispositif des centres de consultations pour les enfants présentant une souffrance psychique: CMPP/CMPEA

Actuellement la pédopsychiatrie du point de vue des consultations se partage principalement entre les CMPEA qui relèvent du sanitaire, du public, et les CMPP qui relèvent du médico-social, du privé. S’ajoutent à cela les consultations de pédopsychiatrie libérale en cabinet.

Les enfants accueillis en institutions CMPP ou CMPEA présentent des troubles très divers allant de l’énurésie, des troubles du sommeil, des troubles anxieux jusqu’aux troubles plus importants qui nécessitent davantage de temps et d’intervenants, comme pour les enfants avec retard de développement, les psychoses de l’enfant, certaines dysharmonies, les enfants avec des troubles autistiques qui ne peuvent être suivis par une seule personne.

Les CMPP, sont gérés par des associations loi 1901, il y a 310 CMPP en France, ce qui correspond à un peu moins de la moitié des actes en ambulatoires en pédopsychiatrie, répartis en France métropole et Outre-Mer.

Ils sont pour plus des deux tiers représentés au sein de la FDCMPP. Celle-ci a collaboré à l’élaboration de cahiers des charges, mais est fortement mobilisée contre le cahier des charges de NA (Nouvelle Aquitaine) (1).

Le premier CMPP ouvre en 1946 au centre Claude Bernard, Paris 5e et en 1963 les CMPP obtiennent l’agrément de l’État et la prise en charge Sécurité Sociale. Ils accueillent comme les CMPEA une population de 0 à 20 ans. Une nouvelle répartition s’est mise en place avec des CAMSP (centre d’action médico-sociale précoce) pour les 0-3 ans et CMPP pour les 4-20 ans.

Les CMPEA appartiennent à l’organisation de l’hôpital public, avec un service de pédopsychiatrie dont le directeur médical siège à la commission médicale d’établissement, aux côtés des autres représentants de spécialités universitaires.

La pédopsychiatrie est née et s’est inscrite avec le projet de sectorisation d’après-guerre qui instituait l’accès aux soins psychiques au plus près du territoire.

Les CMPEA travaillent en liens étroits avec les Hôpitaux de jour (HDJ) et des CATTP (Centre d’action thérapeutique à temps partiels), ces derniers étant dans un travail de réseau plus étroit avec l’extérieur alors que l’HDJ est davantage aux prises avec des problématiques institutionnelles fortes du fait des mouvements archaïques et psychotiques projectifs (2). Les hôpitaux de jour accueillent les enfants avec les troubles les plus sévères comme la psychose, les dysharmonies, les troubles autistiques.

La distinction entre CMPP et CMPEA a à voir avec des liens historiques étroits avec le milieu de l’Éducation Nationale pour les CMPP et l’appartenance au monde hospitalier et universitaire pour les CMPEA. Ainsi les CMPEA sont en travail étroit avec les HDJ, mais aussi avec la pédiatrie universitaire ou la psychiatrie adulte. Cependant, ces liens existent aussi pour les CMPP. Les CMPP dans certaines régions, selon les inscriptions historiques, travaillent davantage avec les psychopédagogues. Les liens ne manquent pas parfois entre CMPP et CMPEA, pour accueillir les enfants en hôpitaux de jour par exemple, ou construire des projets de prévention avec des moyens communs. Les deux types de structures sont des lieux de soins pluridisciplinaires.

L’équipe est constituée d’un ou de plusieurs psychiatres (souvent très difficiles à recruter-parfois aucun psychiatre n’est présent), des psychologues, des orthophonistes, des psychomotriciens. Il s’agit d’un travail nécessairement d’équipe, afin d’accueillir à plusieurs les situations qui peuvent être extrêmement difficiles.

La pédopsychiatrie n’accueille pas un enfant seul, mais un enfant dépendant de sa famille, de son ou ses parents. Le travail familial est très variable en fonction des situations mais toujours nécessaire.

Les CMPP, CMPEA travaillent également avec les écoles (réunions, aménagements, analyse diagnostique, temps partiels école/hôpital de jour ou CATTP).

Les médecins, en plus des consultations et du travail d’équipe, sont en charge de tous les certificats MDPH, pour le statut Handicap, sésame nécessaire pour permettre qui, une personne aidante scolaire (AVS), qui, une scolarisation particulière (classe ULIS), ou une orientation vers un établissement spécialisé médico-social : -IME pour les enfants avec déficits intellectuels, ITEP pour les enfants sans déficits intellectuels, IMPro pour les plus âgés.

Dans chacune des institutions, CMPEA ou CMPP, on retrouve globalement les mêmes types d’enfants accueillis-avec cependant davantage de problématiques lourdes adressées en pédopsychiatrie publique du fait des dispositifs de soins plus important (HDJ et CATTP). CMPEA et CMPP sont agréés par la Sécurité Sociale, donc soumis aux mêmes injonctions de l’ARS, injonctions économiques mais aussi cliniques.

Offensive de l’ARS en Nouvelle Aquitaine et cahier des charges:

Le 25 novembre 2019, sans préambule, les directions des CMPP de Nouvelle-Aquitaine sont invités à une réunion par le directeur délégué à l’autonomie. Il présente le projet de réforme pour les CMPP régionaux édictée par la HAS. (Haute autorité de santé)

Fin décembre 2019, la direction générale de l’ARS Nouvelle Aquitaine adresse aux directeurs gestionnaires le cahier des charges avec des délais de mise en œuvre, du registre de l’urgence : Ils imposent un « plan d’action d’évolution de l’offre » dans un délai de 3 mois et un « changement effectif des pratiques » dans un délai de 9 mois maximum, avec menace administrative et financière. Ceci, alors que jamais aucun soignant, directrice ou directeur médical n’a été consulté ou informé. La manière de présenter la réforme a donc nié la présence des soignants, la fonction médicale et ne s’est adressée qu’aux gestionnaires.

Contenu tout TND et interdiction de certaines pratiques

Le projet de réforme s’appuie sur la référence unique aux neurosciences avec les TND, troubles neuro-développementaux. Selon ces projets tout « trouble inhabituel de l’enfant » devrait être considéré comme un potentiel « trouble neuro-développemental » qu’il faut diagnostiquer et évaluer. On retrouve alors toute la psychopathologie de l’enfant sous la dénomination de troubles divers : trouble dyspraxique, dyslexique, trouble de l’attention, TDAH, (trouble déficitaire de l’attention avec/sans hyperactivité), trouble du spectre autistique, trouble des apprentissages scolaires… mêlant des problématiques distinctes sous une même et unique dimension biologique et excluant toute autre dimension (relationnelle, culturelle, affective, sociale, historique..).

La dénomination des « troubles » est en référence au DSM V, largement remis en question ces dernières années sur sa valeur tant scientifique que sur sa pertinence clinique. Sa méthodologie est basée sur le vote et n’exclut pas les conflits d’intérêt avec des lobbies pharmaceutiques très influents, certaines associations de parents puissantes ou d’usagers.

Le Conseil supérieur de la santé belge, après une étude approfondie, a publié un avis en juin 2019 signifiant que les classifications de la CIM10 et du DSM V ne doivent pas être utilisées en pratique clinique. Le Collège précise que la méthodologie des classifications n’est pas valide du point de vue épistémologique. D’autre part, du point de vue clinique les classifications du DSM V « n’ont pas suffisamment de validité, de fiabilité, ni de pouvoir prédictif »(3).

Il ne s’agit pas d’exclure les approches très intéressantes et pertinentes des neurosciences mais il y a une confusion entre le champ de la recherche neuroscientifique, riche de découvertes et le champ de la clinique pédopsychiatrique pluridisciplinaire et pour laquelle à ce jour l’approche neuro-développementale n’est pas encore pratiquée, ni connue, ni étudiée dans son application pour soigner la souffrance psychique.

Enfin, le cahier des charges impose clairement certaines méthodes et interdit certaines pratiques comme les thérapies psychodynamiques relatives à la psychanalyse : On observe une véritable chasse aux sorcières anti-psychanalyse, dénoncée par de nombreux professionnels, dont la SFPEADA (Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées) récemment (3).

La novlangue de l’ARS extirpe tout vocable issu de la psychanalyse faisant référence à l’histoire de la pédopsychiatrie. Les mots « psychoses, psychanalyse, transferts…» deviennent inaudibles et rendent blêmes certains responsables ARS qui les laisseraient parler. La technocratie va jusqu’à rayer le mot « soin »:à Caen, une pédopsychiatre s’est entendue dire par le représentant de l’ARS qu’il ne fallait plus écrire « projet de soin » mais « projet d’intervention personnalisée » .Toujours en Normandie, un mail récent de l’ARS dit la reprise de l’activité au CMPP pour permettre de « stimuler cérébralement les enfants ».Lorsque l’on commence à s’en prendre aux mots, le risque de déshumanisation est très proche.

Selon le cahier des charges, les enfants des CMPP sont classés et réduits en deux catégories : les enfants porteurs de handicap, présentant un TND, seuls concernés par le travail des équipes des futures plateformes, et les cas dits « légers ».

Ceux-là seraient ré-adressés aux RASED, (réseaux d’aide spécialisés aux élèves en difficultés scolaires) de l’Éducation Nationale. Équipes elles-mêmes en sous-effectif et qui justement nous adressent ces enfants avec nécessité de soin.

Mais qu’entend-on par pathologie légère ? De tous ceux qui refuseraient le diagnostic TND, ou qui ne relèveraient pas de celui-ci ?

Selon le cahier des charges les enfants présentant un TND sont prioritaires, et bénéficient d’un forfait entièrement remboursé s’ils sont orientés vers le libéral (forfait en l’occurrence modique et très limité dans le temps). Qu’en est-il des autres ?

Selon une enquête non scientifique de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales), les TND représentent moins de 20 pour cent de la population des CMPP (1 et 4), et les praticiens avancent des chiffres entre 5 et 10 pour cent (4).

La mesure phare de la reforme consiste en des plateformes de coordination et d’orientation – P.C.O qui s’adressent principalement aux médecins pédiatres, médecins de PMI (Protection maternelle et infantile), médecins scolaires et généralistes. Elles consistent en un travail en intra qui propose des bilans diagnostics, des évaluations, des rééducations fonctionnelles Et un travail en extérieur avec des « équipes mobiles » pour aider les instituteurs et les enfants alors que ces derniers ne doivent plus être dans les lieux de soins mais tous en intégration inclusion scolaire.

Il ne s’agit pas de refuser de travailler à plus d’intégration, mais encore une fois, l’injonction par une technocratie pour le « tout inclusion » vient fragiliser les enseignants, les soignants et confondre les places des uns et des autres. Tout bouleverser des repères et articulations sous prétexte de disqualification insidieuse.

Le soin est forfaitaire avec des durées très limitées. Les orientations se feraient uniquement vers les structures CMPP ou CMPEA ayant validé les RBPM « Recommandations de bonnes pratiques ». Or, celles-ci comme leur nom l’indique, ne devraient pas être imposées.

Enfin le forfait est entièrement remboursé s’il y a une orientation libérale.

Donc il s’agit d’une strate de plus entre l’enfant et sa famille et le lieu de soins, une perte de temps et un coût supplémentaire. A moins qu’il ne s’agisse d’un objectif de gestion et de maîtrise d’une pratique économique, d’une technocratie hors sol qui n’a que faire de la santé publique pour ce qu’il s’agit là de la pédopsychiatrie. La SFPEADA demande une évaluation et un retour d’expérience des plateformes déjà mises en place.

Résistance collective de territoire, syndicats et mobilisation nationale

Le CMPPde la Vienne a été le premier à donner l’alerte. Les CMPP de Nouvelle Aquitaine se sont constitués en collectif collectif.intersyndical.cmpp@gmail.com

Un collectif de professionnels du secteur médico-social a lancé une pétition en ligne. « Quel avenir pour le médico-social en NA?  » : http:/chng.it/ph6X48Gy

Les collectifs départementaux se créent également : Collectif CMPP24 en colère, 16 mobilisés, 33mobilisés, collectif cmpp40, collectif cmpp64, collectif cmpp23, collectif normand pour le soin psychique. Un collectif interprofessionnel s’est constitué, le CIPMSNA (collectif interprofessionnel médico-social de Nouvelle Aquitaine) très actif et qui rassemble les divers collectifs départementaux. Ils partagent les informations, articles et références (5) se réunissent pour une mobilisation régionale mais aussi nationale. Ils centralisent et mettent en lien, notamment les médecins qui seraient intéressés.

Le CIPMSNA a appelé à une mobilisation devant l’ARSNA le 13 mars 2020, avec invitation à la grève ce jour-là. Le collectif souhaitait être reçu par le Directeur de l’ARS et remettre un courrier commun .Malgré cette période à l’aube du confinement, nous étions autour de 180 personnes réunis devant l’ARS .Le SNPP était présent à cette mobilisation-représenté par Beatrice Guinaudeau.

La rencontre a eu lieu avec Mr Laforcade et Mr Acef, respectivement Directeur général et Directeur délégué à l’autonomie à l’ARS NA .Un compte rendu de la rencontre a été transmis et montre un non-dialogue emprunt d’un mépris terrible.

Le 18 avril 2020, une lettre au Président de la République a été rédigée par le collectif, relatant la rencontre caduque avec l’ARS NA et demandant l’abrogation du cahier des charges.

Les actions se poursuivent de façon synergiques avec des représentants de chaque collectifs départemental, un des objectif est d’informer les députés, collectivités, écoles, Médecins pédiatres, PMI, parents ; de transmettre les avancées entre départements. Par ailleurs une lettre commune écrite par les collectivités et les parents était en projet avant le confinement.

La question d’une mobilisation nationale était évoquée également avec le projet d’une rencontre nationale des CMPP, relayée par la FDCMPP.

Sur le plan national de nombreuses organisations ont répondu à l’appel. La FDCMPP se mobilise fortement, la SFPEADA a écrit une lettre au Président de la République. De nombreux articles sont parus dans la presse.

Les syndicats sont actifs : L’USP (Union syndicale de la psychiatrie).Nous avons rédigé une newsletter et soutenu depuis janvier le mouvement des collectifs.

Conclusion

Ce qui se trame actuellement vis-à-vis de la pédopsychiatrie renvoie un effet sidérant, ou très difficile à penser tant le projet de réforme de l’ARS est incroyablement violent dans sa forme et dans le fond, et particulièrement pour les soignants sur le terrain de la réalité clinique, si éloignée des projets technocratiques.

Il est important de ne pas laisser se faire une politique qui ces dernières années et actuellement met à mal la pratique pédopsychiatrique. Ne nous laissons pas tromper par des propos fallacieux qui tendent à disqualifier les soignants et le réseau de la psychiatrie infanto-juvénile, qui soigne et fonctionne relativement bien.

Les soignants demandent à être les premiers concernés et consultés pour envisager des reformes plutôt que de recevoir des injonctions hors sol. Les dispositifs en projet ne permettront pas un soin psychique pour le plus grand nombre et pour les plus défavorisés. Ces réformes massives concernent l’ensemble de la pédopsychiatrie publique et privée et par continuité toute la psychiatrie.

1-lettre de la FDCMPP-13 février 2020

2-cf EMC cattp

2-avis du conseil supérieur de la sante .CSSnumero9360.DSM(5):utilisation et statut du diagnostic et des classifications des problèmes de santé mentale Juin 2019

3-SFPEADA courrier au président de la république du 12 mars 2020 –

4-https://blogs.mediapart.fr/kaplan/blog/090320/le-monde-selon-lars-nouvelle-aquitaine-0

5-Le collectif a mis en place un blog CIPMSNA, une mailing liste diffuse les informations : cipmsna@gmail.com

Marie Dagault

 

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